philippe poupet sculpteur (certaines pages sont en travaux)

Click it easy

Yvan Poulain, in Semaine 11/10, n°231

 

« Quelqu’un l’a déjà fait ?
C’est dur ?
Vaut mieux faire appel a un pro ? »
Bbernel, posté le 11-08-2003 à 10:50:08


Click it easy  (publicité)

J’ai sur le coin de la table le dépliant ouvert. Populaire depuis la fin des années 80, le parquet LIENHYPERTEXTE « http://www.ideesmaison.com/Definition/Stratifie-872.html »stratifié est un parquet flottant mince composé de bois aggloméré très dur recouvert d’une couche décor. Bien calibré en épaisseur et LIENHYPERTEXTE « http://www.ideesmaison.com/Definition/Vernis-949.html »vernis en usine, ce parquet ne nécessite ni ponçage ni vitrification. Les LIENHYPERTEXTE « http://www.ideesmaison.com/Definition/Lames-537.html »lames sont de grande dimension (environ 20x120cm), et de faible épaisseur (6mm) permettant une pose rapide sur un sol existant. Chaud, meilleur marché qu’une bonne LIENHYPERTEXTE « http://www.ideesmaison.com/Decorer/Les-sols/La-moquette/Structures-et-revetements.html »moquette et d’un entretien facile, ce type de sol est pratique pour les chambres. Les prix ont récemment chuté et l’on trouve couramment des modèles à moins de 10 €/m² pour une dureté supérieure à celle d’un parquet traditionnel. Facile à installer grâce à son procédé  « cliquez simplement » (Simply-click®), les lames de bois stratifié prolifèrent dans les maisons avec une rapidité étonnante. Je jette un œil sur le nuancier où s’étale la gamme à priori immense de leurs teintes. Elles sont faites pour nous séduire ces lames. Elles ont le charme du bois. Elles n’en ont pas encore l’odeur. Juste l’acidité sournoise du propylène qui s’en dégage, intoxiquant doucement les enfants qui jouent dans leur chambre. Elles étalent en long leurs veinures « photoshopées », leurs nœuds gradués bien agencés, leurs couleurs bien calibrées. Le bois, mieux que le bois, l’idée du bois mieux que le bois, un simulacre bien vendu dont il faudra bientôt nous débarrasser…

 [J’ai l’habitude de travailler avec des matériaux classiques ou transitoires de la sculpture : le modelage, l’argile, le plâtre, la cire. Ici, le corpus est différent. Il s’agit d’un matériau de transformation manufacturé, le « simply – click ». Cette capacité qu’a le « simply-click » à absorber et concentrer ce qui est de l’ordre de l’image, de la peinture et de la composition m’intéressait beaucoup. Un matériau de séduction, recomposé artificiellement, maquetté, décliné en gammes et colories. Une imitation, une sérigraphie, une photographie imprimée, une image allongée, vendue en boite, reproduit jusque dans ses effets de relief et que l’on débite à volonté… Si le matériau est ici peu conventionnel, l’usage que j’en fait est pourtant assez classique. Je l’entame par le seul outil qui est capable de le modeler :  je coupe, je déplace, je colle…]

 

Simply click ®

L’atelier pour Philippe n’est jamais assez grand. Dans des cartons allongés sur de grandes étagères, simplement couverts de « bulle » translucide, les objets s’entassent. Certains sont des œuvres, des bouts d’œuvres, des éléments ramenés en réserve et qui attendent patiemment leur remise en expo. D’autres des essais, des bidouilles, des bâtards, des trucs pour voir « si y’a des choses à faire », des expérimentations qui trouveront ou non leur suite, et que l’empathie pour les circonstances de leur naissance ont préservé du rebut. « Des objets d’atelier » me dit Philippe… Comment les faire vivre ensemble en dehors de l’atelier ? Comment les montrer tous sans succomber au grand n’importe quoi de leur diversité ? Comment redonner de la cohérence là où ne semble régner que le chaos diffus de leur hybridation ? Comment réanimer les liens, rebroder les fils, réactiver les gestes qui les unissent en dehors de leurs formes ?

L’institution a parlé. Il faudra faire des choix. Il faudra reconstruire pour eux une mise en scène. Il faudra imaginer, dans ce musée déjà bien encombré, une scénographie personnelle, qui leur redonne sens. On ne fera pas de montage histographié. On ne fera pas de socles pour les présenter et on ne jugera pas de leur statut. Il nous faudra autre chose qu’un grand inventaire muséographique. Un objet lui-même qui puisse dessiner l’archéologie d’une pratique artistique empirique en train de se faire, de s’imaginer, de s’imposer. : une forme de carnet de sculptures débarrassée de l’intimité de la recherche et que l’on pourrait visiter…

[Je m’en tiens souvent à des choses élémentaires, à des premiers jets. Je fais péter l’encrier pour voir les premières gouttes qui tombent. Je ne me base jamais sur une figure. Je ne cherche pas à respecter un croquis. Mon intuition est toujours concomitante de mon expérience de la matière. J’ai toujours eu du mal à figer ma pratique dans une terminologie. Je ne fais pas de conscience de la sculpture ou de l’installation. L’appréciation de ma pratique, je l’exprime à moi-même autrement, sans nom propre et sans catégorie. Il n’y a pas pour moi d’objets catégoriés, mais des expériences qui ont plus ou moins bien marchées et qui ont su trouver leur suite en exposition. Je ne décide pas à l’avance où ça va aller. C’est dans l’assemblage final que tout se décide, se fige et se pense, autrement…]

 

Click click muséum

Le bâtiment est ancien. Construit au début du 17ème, il abhorre sur sa façade d’élégants colombages qui dessinent à l’envie, entre les briques rouges, des croisillons imposants. Restauré au début des années 80, le bâtiment enferme d’épais murs recouverts d’un crépi granuleux, mélange de chaux et de sable. Les plafonds de bois ont été noircis, suivant la mode du moment. La lumière fade des néons éclaire, les jours de visite, objets et vitrines, éléments éparses d’une culture rurale largement décimée…

Le dossier de presse est on ne peut plus clair : « Chez Philippe Poupet, le rapport entre le processus d’élaboration de la forme et son mode de présentation revêt à chaque exposition une importance fondamentale ». D’ailleurs, depuis quelques années, certains travaux ont pris des dimensions monumentales manifestes en se greffant, selon les propositions, sur les murs (Oui, d’accord, OK, 1998, coll. FRAC Limousin), en s’étalant sur tout le sol (Po’o- U’u, à La Chapelle Saint-Jacques, Saint-Gaudens, 2003), en se propageant toujours au-delà du raisonnable dans les volumes d’exposition (Domaine de Chamarande, en 2005), en s’arrimant dangereusement au-dessus des têtes, sous la voûte d’une verrière (Meeting, Lieu-Commun, Toulouse, 2007).  Il y aura donc ici, comme à l’habitude, rencontre entre un lieu déjà largement investi par ses nombreuses collections ethnographiques et une pratique artistique sensible à transformer ses accidents.

Note de montage : La pose de la première rangée est une étape cruciale. Elle conditionne le bon déroulement de la pose. Une règle d’or : être parfaitement linéaire.

 

Click click muséum 2 (prélude)

Pour le musée Calbet, Philippe Poupet va imaginer une vaste sculpture s’étalant sur deux niveaux. Le « simply click » en sera donc le matériau. La douceur attrayante de ce bois composite reproduit jusque dans ses veinures, répondra à l’aspect rustique du bâtiment. Mais le matériau a d’autres qualités que ses colories chatoyants.  Il est modulable. Les lattes de plancher s’agglomèrent l’une à l’autre, comme dans un jeu de Lego. Tout est fait pour le novice. Il en sera le titre aussi. Nous croirons à la promesse publicitaire : tout tiendra ici par « simple clic ». La formule d’ailleurs appelle à l’emboîtage aisé de concepts et de formules, de formes et d’essais, le nom même du matériau se faisant prophétique, programmatique, sur les intentions de l’auteur. Le matériau fera donc la soudure. Il cristallisera les éléments entre eux, comme un liant volumineux. La construction peut commencer…

[L’intervention que je fais sur le matériau, c’est essentiellement de l’entamer. Quand on prend un pain d’argile, on commence à mettre l’emprunte de ses doigts, on se saisit d’une partie, on l’entame, on l’écrase, on la plie… Une façon d’entamer le matériaux comme on marche sur la neige, en y laissant ses pas… Il y a dans le processus de création  des intentions qui se figent dans la matière, un peu comme le regard se fixe, au bord d’une route, sur une balise laissée là ou un chemin creux…]

Note de montage : Rangée après rangée, la même technique s’impose : Utilisez le restant de la lame coupée précédemment pour démarrer la rangée suivante, côté coupe contre le mur. Glissez cette lame dans la lame de la rangée précédente en la tenant légèrement orientée vers le haut. Plaquez la lame vers le sol, elle s’emboîte automatiquement…

 

Niveau 1 – clic 

Au rez-de-chaussée, Poupet a assemblé trois modules en bois stratifié : un long mat de 4 mètres, lasuré bleu clair, s’élève en travers de la salle ; un module brun foncé, déclinant d’étranges proliférations, gesticule au sol ; du plafond, un curieux pavillon coudé s’avance vers le visiteur à l’approche de la porte…

Comme souvent dans le travail de Poupet, le matériau est en éveil. Loin d’être figé, il met en lumière sa transformation, sa prolifération, ses qualités physiques et plastiques conditionnant la forme de sa modification. Un matériau co-auteur, qui participe avec Poupet, aux conditions de sa métamorphose en œuvre. Poupet ne cherche pas l’accident ou l’aléatoire. Son travail tente davantage un retour à l’essence de sa pratique de sculpteur, celle qui fait que l’objet est autre par la modification et l’altération de ses formes. On retrouve ainsi de manière très explicite cette préoccupation dans le montage de sa série des « stratostètes ». Partant d’un moulage de tête, Poupet réalise un montage gigogne où alterne dans la masse couches de plâtre et couches de cire. Pour ce faire, il réalise une série de moulage de la première empreinte. Un moule du moule, qu’il répète de manière obsédante, jusqu’à l’épuisement de la forme, sa dénaturation plastique. La création des modules de bois stratifié procède du même souci d’éprouver son matériau. Un élément de la genèse du projet à ce moment retient mon attention. Philippe m’avait proposé un premier titre pour l’exposition : « Là où ça casse ». Non retenu, il dit bien, en focalisant l’attention de l’artiste sur le point de rupture de son matériau, le soucie du sculpteur. Et en effet, il y a bien sur ces modules, une zone « où ça casse », une ligne de brisure ou le bois s’emballe, se déploie dans l’espace, se vrille, jouant des effets de découpe et de lumière. C’est en cela que le travail de Poupet est invariablement un regard sur sa pratique. C’est en cela aussi qu’il commémore la rencontre de l’auteur et de la matière, dans sa base même.

[Pour le Musée, je savais quel matériau j’allais utiliser, mais je ne savais pas quelle forme j’allais lui donner. Au rez-de-chaussée, je me suis moins raccroché aux collections du musée qu’à la structure du bâtiment. J’ai tracé des obliques, des lignes droites, des traits assez simples, mais directement influencés par la cadence des poutres  du plafond  ou les colombages de la façade.  Ces éléments en simply click je les voulais creux. Je les voulais en forme d’avaloir. Ils sont fait pour plonger dedans, pour s’y investir. Le plâtre a un côté doux-heureux, un côté coquille d’œuf. Ca prend la lumière, c’est un vrai bonheur… Là, le matériau est plus ambigu. Il est coupé, coupant, les angles sont saillant, les motifs imprécis et glacé, miroitant  et changeant, passant selon l’inclinaison de la lumière, du mat sombre au brillant saturé…Il y a là une forme de tension de la matière qui tient en éveil le visiteur… une tension directement liée aux propriétés du matériau utilisé…]

Notes : En 3 étapes, appliquez la colle seulement sur la rainure, serrez bien les lattes durant la pose avec le tire lame, et essuyez les surplus de colle qui dépassent.

 

Transition

Mais pour Philippe Poupet, l’exposition est une zone d’équilibre. Ce qui se dénature et se tord, ce qui se rompt et s’épuise doit se rassembler « in fine » dans l’espace investie. L’exposition est une zone de tension, pas d’explosion. Ce qui se dessoude au rez-de-chaussée doit s’assembler à l’étage, créant à l’échelle du bâtiment une installation en forme de vase communiquant dont on peine à savoir qui du désordre et de l’ordre se déverse dans l’autre.

[J’ai un rapport éminemment physique aux choses. J’ai besoin de faire des choses sur lesquels je me cogne, parce que… je me cogne sur les choses… Et j’ai besoin du passage par le corps pour faire ces choses… « Seul le corps ne ment jamais » disait Artaud…]

 

Niveau 2 – clic – clic

Pour mener à bien son opération, Poupet troue symboliquement les étages. Il faudra sûrement y voir une manière de se greffer littéralement au lieu, de se construire un pivot solidement ancré dans les assises du bâtiment. Si au niveau de la rue les œuvres forment le lot des productions récentes, l’étage est lui tout consacré à la relecture de pièces anciennes. Au minimalisme retenu des œuvres basses, répond maintenant l’exubérance d’objets hirsutes réactivés pour la cause. Dans un volume encore rempli des collections anciennes, flotte, à 30cm du sol, un plancher saumon. L’ensemble prend l’allure d’un radeau de la méduse aux contours mal définis. Une embarcation de lames stratifiées sur laquelle ont pris place les « objets d’ateliers ». Sous leur poids, les planches du bord courbent inexorablement, se voûtent doucement, par l’absence sous eux de toute structure. Un planché envahissant qui dans son avancée, au cœur de la salle, a emprisonné des collections du musée : un dévidoir à écheveau, une chaise de coiffeur, des pots d’aisance, une baignoire sabot de métal peint…L’ensemble donne l’effet d’une scène de théâtre, éclairée avec minutie pour porter le drame. Les corps décharnées du radeau de Gérôme ont fait place aux objets de Poupet, dont on sait qu’ils ont en commun le même épuisement des formes. Spectateur zélé du désordre alentours, une silhouette blanche, mains dans le dos, regarde songeur des marmites informes de plâtre et de cire. Son chapeau est au sol, comme décollé de sa propre tête…

 [Cet ensemble, c’est un vrac non fini, choisi sur des considérations plastiques et affectives.. Il y a des choses jamais montrées et anciennes comme les parallélépipèdes en plâtre  ou comme les moulages de fruits coupés, dont la surface tranchée  est matérialisée par une surface brillante, plastique et coloré, un peu hard age qui jure avec la douceur mat du plâtre… D’autres ont été montré en exposition, comme les « Statotête »s. Et puis il y a des affections récentes, comme les marmites. C’est un objet qui marque à bien des égards mes obsessions par rapport à l’exposition. Ainsi, j’ai souvent le sentiment de ne pas avoir montré la fin des choses, d’avoir laisser les éléments en cours… Ici, les marmites sont la fin des têtes en cire. La matière en a été récupérée. Un autre geste est venu se superposer. La cire récupérée  a été refondue dans un récipient qui a laissé son emprunte. En séchant, elle s’est retirée, dessinant un creux à la base, creux que j’ai remoulé en plâtre et réinvestie autrement pour produire une forme de couvercle, qui, comme une pirouette, viendra refermer définitivement la marmite. Il s’agit ici de tenter de fermer la boucle. C’est un jeu, un peu romantique qui impose un mouvement continu d’une matière vers l’autre, un processus qui tente de refermer quelque chose à priori d’irrefermable…Ce qui prime ici, c’est l’idée d’un mouvement. Celui du processus de création, toujours continu et  celui particulier pour cette exposition, d’une collection en renouvellement perpétuel…]

 

Je mange le click qui est dans le trou…

Où nous trouvons-nous exactement à cet instant ? Poupée a percé son plancher-radeau d’un trou. Une conduite toute droite reliée au coude de bois du premier étage, accroché au plafond et qui accueille –  le visiteur à l’entrée de l’expo, plus bas. Je me souviens d’une anecdote, toute personnelle. Pour les besoins des taches domestiques, mon grand-père avait ouvert un trou sur le palier de l’escalier de la cave. Ma grand-mère, la corvée de balayage fini, reposait les crasses  dans ce dévidoir sans fond. Poussières et détritus disparaissaient de la vue en un instant, sans qu’enfant, je puisse en connaître la destination.  Et si Poupet faisait ici de même. S’il avait déposé ses errances d’atelier là, pour mieux les absorber. Et si le but de tout ce montage était de donner à voir ces bidules dans un temps retenu, juste avant de se faire gober par le trou béant de sa propre création. A moins que nous soyons ici, au propre, comme au figuré, sous la surface du plancher, sous le matériau même, disposé rigoureusement à l’envers. Comme si les objets assemblés alimentaient en sous-sol le nouveau projet de Poupet. Comme si ces objets épars, conglomérés par les lattes stratifiées, se trouvaient nouvellement unifiées pour dessiner en creux les bases de sa pratique artistique. Comme pour dire qu’il y a une vie sous l’œuvre, faite de ces petits riens épars joliment remis en scène, de ces hasards endimanchés pour l’expo, qu’il nous est habituellement impossible de voir… en dehors bien sûr de l’espace fermé de l’atelier confus de l’expérimentateur qu’est Philippe Poupet…

Yvan Poulain,  février 10
Matériau : Interview de Philippe Poupet par Yvan Poulain, réalisé le 30 janvier 10 [extraits]

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